La
bête s’est immiscée en catimini dans notre univers le jour de mon anniversaire,
offerte avec toutes les bonnes intentions du monde par mon frérot. Elle se
présente sous la forme d’un immense saucisson de plumes, de format bien
américain. Ledit saucisson facilite – en théorie – le sommeil des baleines de
mon espèce, reléguées contre leur gré à la position dodo-sur-le-côté, toutes les autres positions étant devenues soit hautement inconfortables,
anatomiquement impensables ou fortement déconseillées par le vétérinaire
médecin.
Sur
l’emballage figure la photo d’une dame enceinte, rayonnante de bonheur et de
sommeil réparateur dans une étreinte-symbiose avec son oreiller de corps. Mais
moi je vous dis, l’image idyllique en prend pour son rhume dans la vraie vie.
Primo,
la dame de l’emballage ne semble pas avoir de compagnon nocturne, hormis le
saucisson de plumes. Ce qui n’est pas la norme chez les dames
enceintes, vous en conviendrez. Deuxio, son lit ressemble à une plaine infinie
recouverte d’impeccables draps de lin. Le nôtre, de lit, n’a rien d’infini. En plus d’héberger les 180 centimètres en longueur de l’Amoureux et
l’impressionnant tour de taille de sa bien-aimée, il doit contenir une
multitude d’oreillers et douillettes nécessaires à la survie en milieu
arctique. Alors y rentrer le saucisson….
. . .
… 23h. L’Amoureux, bien que
frôlant dangereusement le cadre du lit, s’est façonné un espace habitable
quelque part entre les douillettes, les oreillers et la baleine somnolente que
je suis, bien enroulée autour de mon nouvel oreiller de corps. Tout baigne.
… 23h25. Ouille, premier
tiraillement dans le dos. J’ouvre l’œil. L’Amoureux dort. Je tente une position
hybride, mais l’oreiller-saucisson ne veut pas. Flairant la catastrophe, je
renonce et me rendors.
… 23h55. Re-Ouille. Cette fois j’ai
franchement mal et dois impérativement effectuer un changement de côté.
L’énorme saucisson de plumes se retrouve entre moi et l’Amoureux. Qui se
réveille en sursaut, heurtant du coude la base du lit en se rattrapant d’une
chute quasi-inévitable. Le saucisson reçoit quelques insultes en espagnol.
… 00h10. Décidément, ça ne va pas.
Ma douillette est coincée sous l’oreiller de corps, et j’ai le dos frigorifié.
En tentant de déloger la douillette et de me retourner, je percute le verre
d’eau sur la table de chevet, et le tout se répand à grand fracas sur le
plancher. L’Amoureux se réveille. Le propriétaire aussi. Je réussis à décoincer
la douillette, me confond en excuses, et l’Amoureux se rendort. Pas le proprio.
… 00h50. Zut. Plus de circulation
dans le bras, je dois encore changer la direction de la cavalerie. Rebelote
avec les douillettes et l’oreiller de corps. Le visage de l’Amoureux est
maintenant coincé dans un canyon entre son propre oreiller et l’infâme
saucisson. Le pauvre se réveille à demi-asphyxié, évitant de peu une
dégringolade spectaculaire. Soupire. Se lève. Glisse dans la flaque d’eau. Sous
le lit, le propriétaire nous maudit ouvertement en italien. L’Amoureux
capitule, va lire dans le salon. J’ouvre la lumière, tente de réparer les
dégâts. Sur l’emballage, la dame enceinte et son saucisson de plume filent toujours
le parfait bonheur. Je balance l’oreiller de corps et son hypocrite ambassadrice au fond de la penderie, reprends mes quatre bons vieux
oreillers, convainc l’Amoureux de regagner le lit conjugual. Pour l’oreiller de
corps, on se reprendra.
… 5h30. Charmant Proprio nous met
la radio western à fond sous la chambre, pour bien nous faire comprendre que
nos combats nocturnes sont incompatibles avec son mode de vie.
. . .
L’oreiller
de corps trône toujours au fond de la penderie. Je me promets une nouvelle
tentative bientôt… À condition que la dame de l’emballage me prête son lit et
s’offre d’héberger Charmant Proprio jusqu'à la fin de la grossesse.
Chère Dame Oiselle, les rires fusent car ta dernière envolée est absolument hilarante. Non vraiment il faudrait mettre cela en scénario de théâtre ou en One-Woman-Show.
RépondreSupprimerSurtout quand on a vécu du quasi-similaire, c'est encore meilleur et visuel ! et pour ceux qui ne connaissent pas un avant-goût... Tu as un réel don de rendre ce qui pourrait être exaspérant, voire ''dépressionnant'' en situation savoureusement cocasse.
Catherine