Aujourd’hui,
je veux vous raconter une histoire. Celle de ma Maman. Parce qu’en même temps,
c’est un peu la mienne, au passé simple et composé, à l’imparfait mais aussi
parfois au plus-que-parfait.
Ma
Maman, c’est un drôle d’oiseau. Elle a toujours su qu’elle avait des ailes.
Quand elle était petite (mais un peu moins que moi quand même), elle dévorait
les National
Geographic de son grand-père. Elle promenait ses doigts dans un atlas tout
usé à force d’être ouvert et réouvert, les posant sur le bleu du lac Baïkal et
sur les contours de la Tasmanie en se disant qu’elle ne perdait rien pour
attendre.
À
dix-huit ans, alors qu’elle s’apprêtait à grimper dans un avion
Montréal-Bruxelles avec son énorme carapace de globetrotteuse sur le dos, sa
maman à elle a versé une petite larme. «Sois pas triste maman, tu sais que
je vais revenir dans deux mois» qu’elle lui a dit. «Je sais, mais je sais aussi
qu’après tu partiras encore et encore…». Elle avait raison, ma grand-maman
Louise : sa fille, c’était un oiseau migrateur en latence.
Depuis,
ma Maman elle s’est beaucoup promenée, jusque dans des pays tellement étrangers
qu’il faut passer par-dessus des tas d’océans et de montagnes pour y arriver.
Elle a étudié des choses très compliquées au pied des Rocheuses et travaillé
dans la poussière et le vacarme de Saigon. Elle a parcouru le Laos et le
Viêt-Nam en long et en large, usant bien des paires de mauvaises sandales
chinoises, réparant patiemment les crevaisons de sa moto et pestant contre les
autobus toujours en panne. Elle a vu le soleil de midi brûler les rizières de
Thaïlande et le soleil de minuit plonger dans la mer en Scandinavie. Elle s’est
imprégnée de l’arôme de tabac des terres rouges de Cuba, du parfum des salines
de la Vendée et mis beaucoup trop de confiture de groseilles sur son pain noir
polonais. Elle a écrit, écrit, dans des douzaines de cahiers cornés, des
magazines vietnamiens et même un livre. Elle s’est souvent liée d’amitié, a
appris des langues inutiles et eu le cœur gros en quittant des bouts de planète
où elle s’était vraiment sentie chez elle.
Parfois
on lui demandait, t’as combien d’enfants ? Elle disait pas encore. On lui
demandait pourquoi ; elle ne
répondait pas. Dans les cœurs des oiseaux migrateurs, il y a une sorte
d’impulsion, aussi puissante et impérieuse qu’une marée, à piétiner les
frontières, marcher plus loin, aller moissonner le bonheur ailleurs.
Comme
la terre est ronde, ma Maman elle est revenue un jour à son point de départ.
Elle avait un petit peu peur d’avoir mal en repliant ses ailes. Mais il y a eu
Papa. Qui lui a donné envie de plein de choses, et surtout, envie de faire son
nid. Et puis mon Papa, c’est très doucement qu’il a apprivoisé ma Maman. Il lui
a montré que le bonheur parfois il est déposé juste à côté du seuil de la
porte. Faut à peine se pencher pour le cueillir.
Le
reste, vous l’avez deviné entre mes lignes. Il y a moi qui me suis faufilé dans
leur histoire, et ma coquille qui n’en finit plus de grossir. Il y a ma Maman
qui plie des pyjamas avec des poussins brodés dessus et mon Papa qui apprend à
fixer mon siège d’auto comme il faut. Et puis Maman, elle a eu raison de faire
confiance à Papa. Elle n’a pas mal à ses voyages. D’abord parce que la Vie,
celle de la famille qu’on s’apprête à devenir, c’est déjà une formidable
randonnée. Et puis parce que l’amour, ça donne des ailes.
De plus en plus touchante! Qu'est-ce que ce sera quand ton coco sera là?
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