mercredi 10 février 2010

Semaine 32 : L'oreiller de corps

L’Amoureux est un dévoué, même la nuit. Du genre à se réveiller à 3h du matin plein de bienveillance et de compassion lorsque sa douce a des crampes au mollet ou fait un mauvais rêve, et ce peu importe l’heure à laquelle il doit aller travailler le lendemain. Mais depuis peu, son sommeil est mis à rude épreuve par un adversaire de taille : l’oreiller de corps.

La bête s’est immiscée en catimini dans notre univers le jour de mon anniversaire, offerte avec toutes les bonnes intentions du monde par mon frérot. Elle se présente sous la forme d’un immense saucisson de plumes, de format bien américain. Ledit saucisson facilite – en théorie – le sommeil des baleines de mon espèce, reléguées contre leur gré à la position dodo-sur-le-côté, toutes les autres positions étant devenues soit hautement inconfortables, anatomiquement impensables ou fortement déconseillées par le vétérinaire médecin.

Sur l’emballage figure la photo d’une dame enceinte, rayonnante de bonheur et de sommeil réparateur dans une étreinte-symbiose avec son oreiller de corps. Mais moi je vous dis, l’image idyllique en prend pour son rhume dans la vraie vie.

Primo, la dame de l’emballage ne semble pas avoir de compagnon nocturne, hormis le saucisson de plumes. Ce qui n’est pas la norme chez les dames enceintes, vous en conviendrez. Deuxio, son lit ressemble à une plaine infinie recouverte d’impeccables draps de lin. Le nôtre, de lit, n’a rien d’infini. En plus d’héberger les 180 centimètres en longueur de l’Amoureux et l’impressionnant tour de taille de sa bien-aimée, il doit contenir une multitude d’oreillers et douillettes nécessaires à la survie en milieu arctique. Alors y rentrer le saucisson….
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23h. L’Amoureux, bien que frôlant dangereusement le cadre du lit, s’est façonné un espace habitable quelque part entre les douillettes, les oreillers et la baleine somnolente que je suis, bien enroulée autour de mon nouvel oreiller de corps. Tout baigne.

23h25. Ouille, premier tiraillement dans le dos. J’ouvre l’œil. L’Amoureux dort. Je tente une position hybride, mais l’oreiller-saucisson ne veut pas. Flairant la catastrophe, je renonce et me rendors.

23h55. Re-Ouille. Cette fois j’ai franchement mal et dois impérativement effectuer un changement de côté. L’énorme saucisson de plumes se retrouve entre moi et l’Amoureux. Qui se réveille en sursaut, heurtant du coude la base du lit en se rattrapant d’une chute quasi-inévitable. Le saucisson reçoit quelques insultes en espagnol.

00h10. Décidément, ça ne va pas. Ma douillette est coincée sous l’oreiller de corps, et j’ai le dos frigorifié. En tentant de déloger la douillette et de me retourner, je percute le verre d’eau sur la table de chevet, et le tout se répand à grand fracas sur le plancher. L’Amoureux se réveille. Le propriétaire aussi. Je réussis à décoincer la douillette, me confond en excuses, et l’Amoureux se rendort. Pas le proprio.

00h50. Zut. Plus de circulation dans le bras, je dois encore changer la direction de la cavalerie. Rebelote avec les douillettes et l’oreiller de corps. Le visage de l’Amoureux est maintenant coincé dans un canyon entre son propre oreiller et l’infâme saucisson. Le pauvre se réveille à demi-asphyxié, évitant de peu une dégringolade spectaculaire. Soupire. Se lève. Glisse dans la flaque d’eau. Sous le lit, le propriétaire nous maudit ouvertement en italien. L’Amoureux capitule, va lire dans le salon. J’ouvre la lumière, tente de réparer les dégâts. Sur l’emballage, la dame enceinte et son saucisson de plume filent toujours le parfait bonheur. Je balance l’oreiller de corps et son hypocrite ambassadrice au fond de la penderie, reprends mes quatre bons vieux oreillers, convainc l’Amoureux de regagner le lit conjugual. Pour l’oreiller de corps, on se reprendra.

5h30. Charmant Proprio nous met la radio western à fond sous la chambre, pour bien nous faire comprendre que nos combats nocturnes sont incompatibles avec son mode de vie.
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L’oreiller de corps trône toujours au fond de la penderie. Je me promets une nouvelle tentative bientôt… À condition que la dame de l’emballage me prête son lit et s’offre d’héberger Charmant Proprio jusqu'à la fin de la grossesse.

1 commentaire:

  1. Chère Dame Oiselle, les rires fusent car ta dernière envolée est absolument hilarante. Non vraiment il faudrait mettre cela en scénario de théâtre ou en One-Woman-Show.
    Surtout quand on a vécu du quasi-similaire, c'est encore meilleur et visuel ! et pour ceux qui ne connaissent pas un avant-goût... Tu as un réel don de rendre ce qui pourrait être exaspérant, voire ''dépressionnant'' en situation savoureusement cocasse.
    Catherine

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