J’aurais pris ma
bicyclette et pédalé les rues cabossées de mon quartier pour me rendre chez
toi. J’aurais salué tes voisines dans le corridor, souri de voir leurs
couronnes de noël déjà posées sur les portes de leurs appartements. En cognant
à la tienne, j’aurais respiré à fond l’odeur du rosbif que tu cuisinais si
bien, et qui aurait été un peu trop cuit parce que je serais arrivée en retard.
Celle des asperges aussi, que tu achetais quand elles étaient hors de prix
parce que tu savais qu’alors je m’en privais. La table aurait été déjà été mise
pour deux, on se serait assis sans rien dire pour quelques minutes parce que tu
aurais voulu qu’on mange chaud.
Ensuite, on aurait
parlé de ma semaine, de tout ce que j’aurais fait, appris, de ceux que j’aurais
croisés. Et de la tienne aussi, de ce que tu aurais lu, entendu à la télé et
tout ce que tu aurais réfléchi entre les deux. Ta voix se serait un peu cassée
en parlant de grand-maman. Tu m’aurais encore appelé ma chouette, parce que tu
l’avais toujours fait, et que mes 38 ans n’en changeaient pas la pertinence.
…
En fait non, les
choses auraient été un peu différentes. J’aurais troqué mon vélo contre la
voiture pour parcourir les mêmes boulevards cabossés. Et la table aurait été
mise pour trois. Tu aurais servi une portion énorme à Diego. Tu lui aurais
demandé des nouvelles de sa mère. Et puis tu aurais regardé mon ventre avec
beaucoup de tendresse, peut-être aussi une pointe d’inquiétude, me demandant si
je dormais assez, si je buvais mes verres de lait, si mon manteau était assez
chaud. Tu nous aurais gentiment mis à la porte vers quinze heures, me disant
que j’avais sûrement mieux à faire un dimanche que de passer l’après-midi avec
mon vieux grand-père. J’aurais protesté en riant. Dans ma poche, j’aurais
trouvé un billet ou deux que tu y aurais glissé en douce. On n’aurait rien dit
à Diego, juste échangé un regard complice.
On se serait dit à
dimanche, j’aurais promis de t’appeler mercredi au retour de mon échographie.
Pour te dire le bonheur que tu aurais bientôt à tenir ton arrière-petit-fils,
ton arrière-petite-fille au creux de tes mains rugueuses, tes mains usées par
93 ans de vie. Et puis tu aurais regardé notre voiture démarrer, d’une fenêtre
du septième étage de ta tour de béton.
…
Voilà sept ans
aujourd’hui que je ne fais plus le chemin vers chez toi.
Tu me manques toujours
autant.
Et tu ne peux pas
savoir combien ta chouette, elle est fière de porter ton arrière-petit-fils,
ton arrière-petite-fille.
Très, très touchante cette rencontre avec Ernest.
RépondreSupprimerAh, toutes mes félicitations! C'est vrai qu'il a un profil très mignon,
RépondreSupprimervotre petit coco!
Avec ton histoire de grand-papa tu m'as fait pleurer, là!
Stéphanie
Ton beau texte m'a fait revivre des images et des odeurs du passé. Merci;-))
RépondreSupprimerG! Félicitations pour ton très beau texte. Ou plutôt, merci car j'ai (un tout petit peu) connu ton grand-père.
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